Les droits de l'homme, leur définition et leur défense sont la règle d'or de l'action de l'Alliance israélite universelle depuis sa création.
Dès l'origine, les fondateurs de l'AIU ont compris qu'il convenait d'assurer à tous les persécutés et, naturellement, aux juifs eux-mêmes, le bénéfice des grands principes de la Révolution française : la liberté et l'égalité.
Dans le monde d'aujourd'hui, et après la Choah, conformément au message de René Cassin, l'Alliance soutient l'idée d'un ordre mondial fondé sur le respect des droits de l'individu.
Ainsi chaque homme doit pouvoir trouver, au-delà de l'autorité des Etats, les possibilités d'une protection de ses droits fondamentaux.
A l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’Alliance vient de rééditer, en la réactulisant, la brochure intitulée : René Cassin et l’Alliance israélite universelle, qui a pour auteur M. Gérard Israël.
Rappelons que le lauréat du prix Nobel de la Paix en 1968 a été président de l’AIU de 1943 à 1976 et l’initiateur de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
René Cassin était avant tout persuadé que le respect des droits de l’homme ne pourrait être imposé, dans la pratique quotidienne et à l’échelle internationale, que si les religions apportaient leur renfort au combat rendu indispensable au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Le futur Prix Nobel de la Paix était pourtant un positiviste et bien qu’il eût reçu une éducation religieuse au sein de sa famille, au moins par sa mère attachée à la religion juive, bien qu’il eût également été impressionné, lors de ses études à Aix-en-Provence, par l’idéalisme de jeunes chrétiens sionistes, il pensait que l’homme en lui-même constituait la valeur première, celle qu’il fallait protéger par delà les idéologies et même, sous un certain rapport, par delà les spiritualités. Mais il savait aussi que ce même homme, cet homme réduit à lui-même, se retrouvait tout au fond de la pensée religieuse et qu’il convenait de mettre en évidence, de révéler en quelque sorte, son existence, sa plénitude, sa suffisance.
Juriste, il savait bien que rien ne pourrait être accompli sans l’adhésion des puissances publiques.
Humaniste, il ne pouvait s’abstenir de penser que le soutien des peuples était indispensable au projet qui consistait à faire des droits de l’individu la clé de voûte d’un ordre international.
Pour une unité des religions sur la question des droits de l'homme
Juif de tradition, il ne pouvait concevoir que les religions fussent absentes du projet que, déjà à Londres, au plus fort de la guerre, il avait conçu, défini et exposé... sans toujours convaincre.
Après la grande tourmente, alors qu’il découvrait pleinement les ravages de la persécution et le drame de la Shoah dans toute l’Europe, surtout à l’Est, mais aussi chez lui, en France, parmi les siens, René Cassin, étreint par l’angoisse du recommencement, se lança dans cette bataille qui consistait à amener les Etats souverains à renoncer à une part de leur autorité pour permettre à leurs simples citoyens d’en appeler, face à la persécution, à une autorité supérieure, supranationale, la communauté des nations.
La carence et le désintérêt des gouvernements obligeaient en quelque sorte à se retourner vers d’autres puissances. Les religions en étaient une, morale au moins.
S’agissant de la religion chrétienne, en 1948, le terrain n’était pas favorable aux droits de l’homme. Malgré les Jacques Maritain et quelques autres, on continue de voir dans les initiatives droits de l’homme le résultat de l’esprit laïc illustré par les francs-maçons et, après tout, en effet, l’idée que l’homme serait la fin dernière, transcendant la transcendance, sentait le souffre.
René Cassin n’acceptait pas cette logique. Il avait besoin des religions... mais il fallait qu’elles fussent unies, au moins sur la question des droits de l’homme, qu’elles s’abstinssent de se regarder en chiens de faïences.
Rencontres avec le futur pape Jean XXIII
A l’UNESCO, dont il avait été l’un des fondateurs, René Cassin rencontrait souvent le représentant du Saint-Siège, Mgr. Roncalli, et l’idée que chrétiens et juifs dépendaient de la même tradition n’était pas absente des discussions entre les deux hommes dont l’un, vous devinez lequel, allait devenir le pape Jean XXIII et l’autre, par la grâce du général de Gaulle, le président de l’Alliance israélite universelle, œuvre française, créée à Paris en1860 pour développer la langue et la culture françaises parmi les communautés juives défavorisées d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. L’Alliance entendait aussi redonner aux juifs rescapés du massacre ou épargnés par la guerre, la connaissance, la reconnaissance, justement des valeurs traditionnelles du judaïsme.René Cassin s’enflamma lorsqu’il apparut que le nouveau pape entendait modifier en profondeur les relations entre juifs et chrétiens et lancer les idées de liberté et d’humanité qui seront, par la suite, exprimées dans l’Encyclique Pacem in terris.
Réunir un concile œcuménique, en 1962, pour aborder intensément, en particulier la relation de l’Eglise avec les personnes juives, relevait déjà du miracle.
Quel meilleur moyen de démontrer que les droits de l’autre homme, pour reprendre la formule d’Emmanuel Lévinas, étaient liés à une véritable dimension de la pensée religieuse, quel meilleur moyen que de tenter un rapprochement entre juifs et chrétiens ?
A cette époque, j’avais le bonheur de me trouver modestement aux côtés du président Cassin, j’étais en effet le jeune secrétaire général adjoint de l’Alliance israélite universelle, professeur de philosophie converti au combat des droits de l’homme. Il me revenait de tenir M. Cassin informé des évolutions à Rome concernant la déclaration sur les juifs dont le projet de la première mouture était connu dès novembre 1963. René Cassin n’avait pas l’esprit théologique mais il savait ce qu’un engagement juridique de l’Eglise pouvait signifier. Le projet voté par les pères conciliaires en première lecture, le 21 novembre 1964, était globalement satisfaisant. Dans une note au président Cassin, je faisais cependant observer que la déclaration projetée concernait les juifs et non le judaïsme, alors que les autres religions étaient visées en tant que telles. On remarquait aussi que la grande catastrophe du judaïsme européen, six millions de personnes juives gazées ou mises à mort par d’autres moyens, n’était pas évoquée.
" Encourager et recommander une connaissance et une estime mutuelles "
Mais le texte était jugé favorable à une nouvelle appréciation par le catholicisme de l’existence juive. En effet, le document diffusé en 1964 contenait ce passage :«Comme le patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux juifs reste grand, le concile veut encourager et recommander une connaissance et une estime mutuelles entre eux, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques ainsi que de dialogues fraternels. En outre, le concile, se souvenant de ce patrimoine commun, réprouve sévèrement les injures partout infligées par les hommes. Il déplore et condamne la haine et les persécutions contre les juifs perpétrées soit dans le passé, soit de notre temps. Que tous aient donc soin de ne rien enseigner dans les catéchismes ou la prédication de la parole de Dieu qui puisse faire naître dans le cœur des fidèles la haine ou le mépris envers les juifs; que jamais le peuple juif ne soit présenté comme une race réprouvée ou maudite, ou coupable de déicide. Ce qui a été fait dans la Passion du Christ ne peut nullement être imputé à tout le peuple alors existant et encore moins au peuple d’aujourd’hui. »Hélas, dès l’automne 1965, un document très différent était en passe d’être définitivement adopté. Il n’était plus question de condamnation de la haine et des persécutions dont les juifs pouvaient être l’objet; on se contentait de les déplorer. De plus, le passage concernant l’enseignement chrétien relatif aux juifs était réduit à sa plus simple expression : On n’enseignera rien qui ne soit conforme à la vérité évangélique et à l’esprit du Christ.Au demeurant, le membre de phrase concernant l’incrimination de déicide traditionnellement portée contre les juifs avait purement et simplement disparu du texte définitif.
Malgré l’optimisme qu’il avait chevillé au corps, René Cassin n’était guère heureux de cette évolution. A plusieurs reprises, il me fit l’honneur de me confier la mission d’aller à Rome interroger les uns et les autres. Je rentrais de ces consultations discrètes avec l’idée que les évêques français étaient les plus proches de nos vues et qu’eux seuls pourraient éventuellement renforcer dans le sens souhaité le document en passe d’être définitivement adopté.Immédiatement, le président Cassin, accompagné de l’ingénieur général Louis Kahn, du conseiller d’Etat Jacques Meyer et de moi-même, obtint l’audience du cardinal Liénart alors président du Comité épiscopal français. Ce prélat, archevêque de Lille, nous dit que la quasi unanimité des évêques français pensaient comme nous, surtout s’agissant de la question du déicide, mais que malheureusement il fallait une majorité des pères conciliaires dans leur ensemble.
René Cassin fit également part de ses inquiétudes à Jacques Madaule, alors président de l’Amitié judéo-chrétienne de France. Ce dernier écrivait donc de son côté une lettre au cardinal Liénart dans laquelle il insistait sur le fait que les juifs dans leur ensemble seraient profondément déçus par l’adoption du nouveau texte, alors que le précédent avait au contraire soulevé un immense espoir.
Le président Cassin intervint également de façon discrète auprès de Vittorino Véronèse, alors directeur général de l’UNESCO, mais aussi grand chambellan de cape et d’épée de Sa Sainteté le pape.
Les suggestions de René Cassin
René Cassin, dans une note au secrétariat de l’Alliance, écrivait :« J’ai demandé que si le pape touche au texte voté, il n’obéisse à aucune pression tendant à attiédir encore la chaleur du ton du schéma qui était réelle en 1964 ; et, en outre, qu’il rétablisse le passage ancien si expressif où il est dit : "que tous aient donc soin de ne rien enseigner dans les catéchismes ou la prédication de la parole de Dieu qui puisse faire naître dans le cœur des fidèles, la haine ou le mépris envers les juifs", sauf à marier cette phrase avec l’actuelle correspondance plus enveloppée et moins frappante qui dit : ni dans la catéchèse, ni dans la prédication de la parole de Dieu, on n’enseigne rien qui ne soit conforme à la vérité évangélique et à l’esprit du Christ.Je lui ai demandé en second lieu de faire effort pour que le rappel gratuit de l’attitude de certains juifs, lors de la mort du Christ, soit supprimé - puisque son effet sera contraire à celui officiellement poursuivi et que, dans la logique du document observée en 1964, il ne figurait pas. J’ai, de plus, indiqué que le rôle des Romains n’était pas souligné.J’ai enfin relevé l’absence du mot déicide si frappant, dans l’histoire, malgré son caractère inexact, et qui a disparu du texte actuel, en demandant qu’il soit rétabli et, qu’au besoin, il soit encadré entre guillemets dans le texte définitif, afin de marquer le caractère spécial de ce terme - et cela afin que le nouveau schéma soit réellement suivi d’effet pratique dans les enseignements à venir de l’Eglise. [...]Agissant spontanément, M. Véronèse m’a le premier parlé de la suppression des mots "et condamne" après "réprouve", en ce qui concerne les persécutions contre les juifs (spécialement les massacres hitlériens).J’ai pris la balle au bond pour lui faire ma quatrième suggestion positive en lui faisant remarquer que le passage "en outre l’Eglise qui réprouve toutes les persécutions envers quelques hommes que ce soit, etc..." pourrait très bien être complété ainsi "déplore et réprouve particulièrement la haine, les persécutions, etc... contre les juifs". »Les droits de l'homme reconnus par les milieux religieux
Ainsi intervint, selon ses propres termes, René Cassin auprès d’une personnalité catholique haut placée.Ce fut hélas le texte restrictif qui fut voté mais René Cassin, pas plus que l’Alliance, ne sombrèrent dans le pessimisme. Il restait en effet que la déclaration adoptée par le Concile se situait sur le plan des principes et qu’il fallait attendre que des décrets d’application vinssent mettre en œuvre les directions indiquées...René Cassin, déjà affaibli par la maladie et l’âge, n’a pas exprimé publiquement son soutien à l’extraordinaire démarche accomplie par les évêques français le 13 avril 1973 (Bernard Dupuy était alors secrétaire du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme). René Cassin n’a pas connu la suite : les orientations pontificales sur l’application de la déclaration sur les juifs ni surtout le document publié le 17 mars 1998 par le Vatican, avec l’accord de Jean-Paul II, sous le titre : Souvenons-nous, une réflexion sur la Shoah. Il y aurait trouvé la justification de son attente.Mais déjà, au moment de sa mort, en février 1976, René Cassin pouvait se dire que les droits de l’homme n’apparaissaient plus, aux yeux des religions monothéistes issues de la Bible, comme une cause laïque laissant indifférentes les spiritualités. Il a certainement éprouvé le sentiment profond, satisfaisant absolument, que la réconciliation des religions pouvait se faire désormais, se faisait peut-être déjà, autour de l’homme considéré comme inviolable.René Cassin n’a certainement pas connu l’enseignement de la Kabbale que voici, mais il y aurait sûrement adhéré :« Avant la création de l’homme, Dieu n’était pas Dieu... Tant que l’homme n’avait pas été créé , le Nom de Dieu n’était pas complet. »
vendredi 31 août 2007
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